Cimetières religieux: les juifs et les cimetières séparés

La doctrine juive, musulmane et chrétienne (au moins celle de l’église catholique) exige la séparation entre les morts. La Suisse a essayé tant bien que mal à dresser les chrétiens, alors que les juifs et les musulmans continuent à résister. Nous allons dans ce billet et les suivants exposer la doctrine de ces trois communautés en commençant par la juive. Ensuite, nous verrons les normes suisses.

L’Ancien Testament ne donne pas d’indication claire sur la question de savoir si on peut enterrer les juifs avec les non-juifs. Mais cer­taines pratiques tentent de prouver que les juifs étaient enterrés sé­parément. Ainsi les fils de Hèt proposèrent à Abraham d’enterrer Sarah dans la meilleure de leurs tombes, mais Abraham refusa l’of­fre et insista pour acheter une grotte et un champ en propriété afin d’y enterrer sa femme. Jacob fit jurer à Joseph solennellement (sur ses organes génitaux) de transporter son corps de l’Égypte pour le faire enterrer à Canaan dans le tombeau de ses pères. Joseph aussi fit jurer aux fils d’Israël de l’emporter avec eux lorsqu’ils reviennent en Canaan. Ainsi Moïse emporta avec lui les ossements de Joseph et ils furent enterrés à Sichem, dans une parcelle de champ que Ja­cob avait achetée aux fils de Hamor.

On a déduit de ces récits que les juifs ne devaient pas être enterrés avec les autres. Le Talmud comporta ensuite deux prescriptions apparemment contradictoires. Ainsi B. Shandrin 47a dit qu’on n’enterrera pas le pervers à côté du juste, et Bavil: Gittin 61a ajoute: “Nous enterrerons les morts des non-juifs avec les morts des juifs pour la paix”. Cette dernière phrase a donné lieu à des in­terprétations contradictoires: certains estiment que le but est de maintenir de bonnes relations avec les voisins non-juifs, d’autres estiment que c’est pour des raisons humanitaires, d’autres enfin se satisfont de citer cette phrase d’une manière tronquée: “Nous enter­rerons les morts des non-juifs”, sans la précision qu’ils seront enter­rés avec les juifs. L’Abrégé du Choul’hane Aroukh statue:

On n’enterre pas un méchant auprès d’un juste, comme il est dit: “Ne rappro­che pas mon âme des pêcheurs” (Psaumes 24:9). Même un méchant qui a eu une très mauvaise conduite, on ne l’enterrera pas auprès d’un autre méchant, dont la conduite a été moins mauvaise. De même on n’enterrera pas un juste, et à plus forte raison quelqu’un dont la conduite a été moyenne, aux côtés d’un homme particulièrement estimé pour sa piété. On n’enterrera pas ensemble deux hommes qui se détestaient l’un l’autre, car même dans la mort, ils n’au­ront pas la paix.

Signalons à cet égard ce passage du Zohar, livre ésotérique juif écrit vers 1300:

Dieu purifiera la Terre Sainte de toute la souillure des païens, comme un homme qui secoue son manteau pour en rejeter l’ordure. Les païens enterrés en Terre Sainte seront rejetés hors du domaine sacré. Rabbi Siméon purifiait les rues de Tibériade en faisant rejeter les païens qui y étaient enterrés.

En raison de la multiplication des mariages mixtes, les juifs se sont divisés sur la question de l’enterrement des juifs avec les non-juifs: Faut-il permettre à un non-juif d’être enterré auprès de son conjoint juif dans le cimetière juif avec une cérémonie religieuse non-juive? et à un juif d’être enterré auprès de son conjoint non juif dans le cimetière non-juif avec une cérémonie religieuse juive? Ces ques­tions ont fait l’objet de réponses variées de la part des autorités re­ligieuses juives qu’on peut trouver sur Internet.

Une réponse de 1914 affirme que, contrairement aux catholiques, le cimetière n’est pas considéré comme terrain sacré dans sa tota­lité, seul le lieu où le corps est enterré devient sacré. Par consé­quent, si un juif possède un terrain dans un cimetière, il peut y faire enterrer sa femme non-juive, à moins que la congrégation qui a vendu le terrain ait mis comme condition le non enterrement de non-juifs. Mais dans tous les cas, il sera interdit de procéder à une cérémonie religieuse non-juive à l’intérieur du cimetière juif, tout comme il sera interdit de déposer sur la tombe de la non-juive un symbole religieux comme la croix.

Une réponse de 1916 permet l’enterrement du conjoint d’un juif dans un terrain que celui-ci possède. Il est par contre interdit d’en­terrer un conjoint juif dans le cimetière d’un non-juif; dans ce cas le rabbin ne doit pas présider aux funérailles.

Une réponse de 1936 affirme qu’il est permis à une femme non-juive d’être enterrée à côté de son mari juif dans un cimetière juif, mais la pierre tombale ne doit pas porter de signes religieux chré­tiens.

Un rabbin dit en 1998 que, selon la loi juive, un non-juif, fût-ce un conjoint, ne peut être enterré dans un cimetière consacré en tant que terrain d’enterrement juif. Il signale cependant que certaines congrégations font des exceptions dans les cimetières qui leur ap­partiennent.

Les milieux religieux vont jusqu’à interdire l’enterrement d’un juif non-circoncis dans le cimetière juif. De ce fait, ils procèdent à sa circoncision après la mort, qu’il soit mort-né ou adulte. La Knesset a connu des débats houleux à ce sujet, notamment à propos des juifs soviétiques décédés en Israël et circoncis par les sociétés fu­néraires sans l’accord préalable de leur famille.

Un rabbin m’a donné la raison suivante pour laquelle il ne faut pas mélanger les juifs et les non-juifs:

Les juifs ont un objectif spécial dans ce monde, étant choisis par Dieu pour être la lumière parmi les nations. De ce fait, nous devons savoir qu’il s’agit d’un privilège jusque dans l’autre monde. Nous ne devons pas penser que tout finit dans ce monde ou que lorsque la mort survient nous sommes comme les autres. Pour cela, nous sommes enterrés seulement dans des cimetières juifs pour que nous nous rendions compte que ce privilège reste valide pour nous dans l’autre monde aussi.

En Israël, un jeune immigrant russe, né d’un père juif et d’une mère chrétienne, avait entrepris la procédure de conversion au judaïsme avant d’être tué dans un attentat à Jérusalem. N’étant pas considéré comme juif, les rabbins ont interdit son enterrement dans le cimetière juif de Jérusalem. Les autorités grecques ortho­doxes ont aussi refusé de l’enterrer dans leur cimetière sans des fu­nérailles chrétiennes. Il fut alors mis dans le cimetière des Bahaïs.

Pour essayer de résoudre ce genre de problèmes, l’organisation juive non-orthodoxe Menuha Nehona lutte pour avoir des cimetiè­res ou des carrés qui échappent au monopole des autorités juives orthodoxes. C’est ainsi qu’elle a inauguré en mars 1999 un cime­tière laïque à Beersheba et un autre en novembre 2001 à Jérusa­lem.

Signalons ici que chez les juifs, ceux qui participent à l’enterrement se lavent rituellement les mains en signe de purification. On lit dans le livre des Nombres: “Celui qui touchera un mort, un corps humain quelconque, sera impur pendant sept jours, et il sera pur”. Il est interdit aux Juifs, descendants d’une famille sacerdotale comme celle de Cohen ou de Lévi, de se contaminer au contact avec un mort ou par la proximité trop immédiate d’une tombe. C’est pourquoi ils sont également enterrés à l’écart. La presse israélienne rapporta le 1er janvier 2002 que le gouvernement israélien promit aux juifs ultra-orthodoxes que les avions El-Al ne voleront pas au-dessus du cimetière d’Holon en décollant de l’aéroport de Tel-Aviv parce que, selon la loi juive, ceux de descendance sacerdotale n’ont pas le droit d’entrer dans un cimetière et que la contamination s’étend jusqu’au ciel.

Voir mon livre Cimetière musulman en Occident: Normes juives, chrétiennes et musulmanes, Createspace (Amazon), Charleston, 2e édition, 2012, 140 pages Amazon.fr

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