Libéraux musulmans: Muhammad Ahmad Khalaf-Allah

Le penseur égyptien Muhammad Ahmad Khalaf-Allah (décédé en 1997) a écrit trois ouvrages de base. Al-Qur’an wal-dawlah (Le Coran et l’État); Dirasat fi al-nudhum wal-tashri’at al-islamiyyah (Études sur les institutions et les législations musulmanes); Al-Qur’an wa-mushkilat hayatina al-mu’asirah (Le Coran et les problèmes de notre vie actuelle).

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Dans ces livres, il propose des réformes juridiques et sociales dont le point de départ est le Coran pour trois raisons:

–       C’est le Coran qui a appelé au changement révolutionnaire grandiose effectué du temps de Mahomet.

–       Seul le Coran peut prétendre contenir des normes valables en tout temps et en tout lieu, car Dieu, son auteur, était en mesure de prévoir l’avenir et d’apprécier ses besoins.

–       Le Coran constitue la source première du droit; la Sunnah se borne à l’expliciter.

Sur ce dernier point, il écrit:

Tous les musulmans sont unanimes sur la suprématie du Coran, lequel est considéré par les juristes comme la première source de la législation, en ajoutant que la Sunnah n’est rien d’autre qu’une explicitation et une interprétation; lorsqu’elle entre en contradiction avec le Coran, elle doit être laissée de côté et devient comme non-existante.

Cette unanimité dans le discours sur le Coran et sa place parmi les sources de la législation nous mène directement au Coran pour en faire la première source et la source principale pour ce que nous recherchons comme valeur humaine éternelle capable d’être le fondement d’une société moderne et un arsenal vivant dont nous déduisons les solutions les plus proches aux problèmes de notre vie contemporaine. Seul le Coran est la source originale, toute autre source n’est que pour expliciter et interpréter. Le Coran nous suffit donc comme guide et aide.

Cette théorie de Khalaf-Allah le conduit à négliger presque entièrement la Sunnah dans ses analyses. Libéré de cette source, il essaie d’interpréter le Coran d’une manière originale très réductrice. Pour lui, le Coran n’a tracé que les lignes principales qui protègent l’homme de l’erreur et dirigent ses pas sur la voie de la vérité, de la justice et de l’intérêt public. Les points de détail et tout ce qui est influencé par l’élément “temps” et l’élément “espace” sont laissés à l’homme. Cette pensée nous a été résumée lors d’une rencontre au Caire le 25.8.1977:

Il faut chercher à limiter au maximum la portée des éléments normatifs de l’islam. Il faut s’assurer qu’une question donnée est véritablement réglée par le Coran; et dans ce cas que le texte coranique ne peut se rattacher à son propre contexte historique. Je ne condamne pas le Coran avec nos normes plus évoluées, mais je ne place non plus le Coran en dehors de son contexte historique.

Khalaf-Allah va encore plus loin. Selon lui, le Coran, en déclarant que Mahomet est le dernier des prophètes (33:40), octroie à la raison humaine sa liberté et son indépendance afin qu’elle décide des affaires de cette vie en conformité avec l’intérêt général. Il s’appuie en cela largement sur la fameuse théorie d’Al-Tufi (d. 1316) qui place l’intérêt général même au-dessus du texte du Coran. Il estime que Dieu nous a accordé le droit de légiférer dans les domaines politiques, administratifs, économiques et sociaux. Les normes que nous établissons deviennent conformes au droit musulman parce qu’elles émanent de nous par procuration de la part de Dieu. Et ces normes peuvent être modifiées en fonction du temps et de l’espace afin qu’elles réalisent l’intérêt général et une vie meilleure.

Il nous suffit à cet égard de citer un seul exemple pour illustrer la méthode de Khalaf-Allah: celui des mariages mixtes qui posent des problèmes. En effet, le droit des pays musulmans interdit le mariage d’une musulmane avec un non-musulman, mais permet à un musulman de prendre une non-musulmane à condition qu’elle soit monothéiste. Khalaf-Allah estime que cette norme discriminatoire doit être supprimée.

Khalaf-Allah affirme que le Coran n’a pas réglementé le mariage d’une musulmane avec un non-musulman monothéiste. En cas de silence du texte, la décision revient à l’homme en vertu du principe musulman: tout ce qui n’est pas interdit est permis. On ne peut élargir la liste des interdits. À défaut d’interdiction formelle, l’intérêt général de la société exige le renforcement des liens sociaux par l’intermariage. Le seul interdit prévu dans le Coran est le mariage entre musulmans et polythéistes en vertu du verset suivant:

N’épousez les associatrices que lorsqu’elles croiront. Une servante croyante vaut mieux qu’une associatrice, même si elle vous étonne. Ne donnez d’épouses aux associateurs que lorsqu’ils croiront. Un serviteur croyant vaut mieux qu’un associateur même s’il vous étonne. Ceux-là appellent [les gens] au feu, tandis que Dieu appelle, avec son autorisation, au jardin et au pardon. Il manifeste aux humains ses signes. Peut-être se rappelleront-ils!  (2:221).

Or, le terme polythéiste vise les païens d’Arabie qui ont cessé d’exister. À partir de ce raisonnement, Khalaf-Allah écrit que les adeptes des groupes religieux doivent cesser d’adopter des positions fanatiques, s’élever au niveau de l’homme en tant qu’être humain, et permettre les mariages mixtes afin d’écarter les tensions qui existent entre eux et de renforcer les liens sociaux. Ils doivent remplacer le lien religieux par le lien national, et se placer sur le plan de l’appartenance à l’humanité.

Rencontré en 1977 au Caire, c’est lui qui m’a inspiré l’idée de publier le Coran par ordre chronologique. Il avait écrit un article sur ce sujet disant que le Coran dont nous disposons est presque écrit à l’envers. Pour le comprendre il faut classer ses chapitres selon l’ordre de leur révélation afin de voir l’évolution de ses normes.

Le Coran: texte arabe et traduction française par ordre chronologique selon l’Azhar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens.

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