Lorsque des musulmans se gargarisent de liberté religieuse et critiquent la Suisse

J’ai consacré un billet au roman de la Marocaine convertie au christianisme dans le secret. Je reproduis ici un article de Vincent Pellegrini contenant une interview qu’il a faite avec elle, article publié dans le Nouvelliste du samedi 17 avril 2010 sous le titre “Chrétienne de l’ombre”.

MAROC

Le témoignage d’une chrétienne marocaine convertie dans son cœur au christianisme – mais qui ne peut même pas confier ce secret à ses enfants – jette une autre lumière sur un pays musulman prisé des touristes occidentaux.

PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT PELLEGRINI

Nous avons pu la contacter au Maroc – elle habite Tanger – mais nous tiendrons son nom secret. Elle s’est convertie secrètement au christianisme, mais n’a jamais osé le dire, même à ses proches. C’est une chrétienne marocaine du silence. Nous savons seulement d’elle qu’elle travaille dans l’humanitaire et qu’elle a trois enfants.

Elle rêvait d’écrire un roman («Rien de mal») en partie autobiographique et elle l’a finalement fait sous un pseudonyme – Maya El-Baz – dans une maison française d’édition en ligne (www.thebookedition.com). Un livre qui, au-delà de sa trame romanesque, traite notamment des réalités quotidiennes de la société marocaine, des relations intercommunautaires, de la montée de l’intégrisme, du sort des femmes et de la difficulté à faire évoluer les normes islamiques vers la liberté religieuse. L’interview que «Maya El-Baz» nous a donnée sur son parcours personnel et sur la réalité de son vécu quotidien au Maroc est saisissante de vérité humaine et spirituelle.

Dans quelles circonstances et pourquoi vous êtes-vous convertie au christianisme?

Dès ma plus tendre enfance, j’étais attirée par la lecture.Vers l’âge de 10 ans, j’ai découvert chez mon oncle une très belle Bible. Je l’ai lue et j’ai été fascinée par ses messages d’amour et de tolérance. J’ai grandi accompagnée d’une curiosité insatiable. Je voulais comprendre plein de choses. Comprendre pourquoi dans l’islam Dieu était si intransigeant, si dur, pourquoi devait-il nous punir? De là, naquit la recherche de ce Dieu au fond de moi-même. J’ai enchaîné une période musulmane, suivie d’une période laïque, pour finir franchement athée. Mais un jour, mes pas m’ont menée à une église. En y entrant, j’ai ressenti une très vive émotion, j’avais le sentiment d’être arrivée à bon port, là où je devais être… J’étais chez moi, à ma juste place, cette sensation ne m’a jamais quittée depuis. Chaque fois que je pénètre dans une église, ou que je fais mes prières, j’ai l’impression de ne faire qu’un avec Dieu et Jésus. Depuis, je suis chrétienne.

Votre roman s’inspire-t-il de votre histoire? Pourquoi avoir écrit ce roman? Et pourquoi n’avoir pas publié plutôt un témoignage?

Ce roman ne contient que 25% de ma vie. Le solde n’est qu’imagination sur un fond de réalités sociales et religieuses très dures. En le rédigeant, je voulais en fait lancer un «cri», tirer un signal d’alarme stigmatisant les risques qu’encourent les pays arabes et même occidentaux. Un témoignage aurait été trop subjectif, je voulais concerner le lecteur, proposer cette histoire comme la sienne et non seulement la mienne, je voulais exprimer mes soucis, mes craintes et mes colères aussi.

Vous désirez rester anonyme et ne pas faire connaître au Maroc votre conversion. Vous me dites que vous craignez pour vos enfants. Une femme marocaine considérée comme «apostate» par l’islam pourrait-elle être séparée de ses enfants même au Maroc pourtant réputé assez modéré par les Occidentaux?

Je dirais juste que cela serait une raison suffisante de me reprendre la garde de nos enfants, la loi et la religion statueraient inévitablement au bénéfice de leur père, mon ex-mari, particulièrement dans le climat actuel de «chasse aux sorcières».

Vos enfants se sont-ils aussi convertis? Comment vivent-ils cette situation?

Je dois leur laisser la liberté de choisir la religion qu’ils embrasseront. Je ne veux pas leur imposer quoi que ce soit en ce domaine. Toute pratique religieuse doit, à mon avis, résulter d’un libre engagement, pas d’une obligation. Je leur dispense une éducation laïqu

e basée, bien sûr, sur des valeurs chrétiennes. Tel le pardon, le partage, l’amour d’autrui… Mais ils ne savent pas encore que je suis chrétienne. Ce sont des enfants qui risquent d’en parler autour d’eux. Cela peut être dangereux. Je préfère attendre qu’ils grandissent pour leur confier mon secret afin de ne pas leur imposer une responsabilité, un fardeau trop lourd à porter.

Quelle est la situation des chrétiens marocains, jouissent-ils de la liberté de culte, peuvent-ils construire des églises?

Je dirais qu’ils commencent à revendiquer un peu plus leurs droits, mais ne jouissent pas vraiment de la liberté de culte. Les prières se font discrètement, en privé, dans des appartements. Au-delà de vingt «paroissiens» le groupe se scinde en deux pour créer une autre église. Le baptême reste interdit, le prosélytisme également… Aucune église n’a plus été construite dans un pays musulman depuis de longues années, a contrario de la liberté de culte accordée aux musulmans dans les pays occidentaux et assortie de construction de mosquées en tout liberté. Pourquoi une telle contradiction? J’invite les lecteurs à méditer sur la question.

Votre parcours est aussi un peu celui d’une femme laïque. Mais peut-on séparer l’Etat de la religion dans un pays musulman comme le Maroc?

On doit si on veut que le pays progresse…

L’islam influence-t-il parfois négativement la situation de la femme au Maroc?

Il ne l’influence pas, il la régit.

Pensez-vous que l’islam marocain puisse évoluer pour se rapprocher encore des valeurs sous-tendant les modèles démocratiques occidentaux?

Je crois qu’on peut le faire, c’est une question de bonne volonté. Personnellement, cela fait plus de seize ans maintenant que je m’y emploie.

Auteur: Maya El-Baz. Titre: «Rien de mal» Éditions: www.thebookedition.com

271 pages. Prix: Papier, 20 euros; version pdf, 10 euros. Commander en ligne à: http://www.thebookedition.com/rien-de-mal–p-35949.html

LIBERTE RELIGIEUSE THEORIQUE

Au Maroc, où le roi est «Commandeur des croyants», les chrétiens indigènes vivent à l’ombre de l’islam, religion officielle de l’État (ici la mosquée Hassan II de Casablanca).

Selon la Constitution marocaine «l’islam est la religion de l’État qui garantit à tous le libre exercice du culte». Mais la réalité sur le terrain est bien différente. Les musulmans qui se convertissent subissent une pression terrible, y compris des autorités alors que la loi marocaine ne punit pourtant pas ce que l’islam définit comme une «apostasie».

En «Commandeur des croyants», l’actuel roi Mohamed VI, sous prétexte de couper l’herbe sous les pieds des islamistes, a par ailleurs donné un tour de vis dans les affaires religieuses et ce sont les chrétiens qui en font les frais notamment à travers la nouvelle p

olitique de tolérance zéro du «prosélytisme». Il faut savoir en effet que l’article 220 du code pénal marocain condamne «quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi des musulmans».

Le Ministère des affaires islamiques a désormais une nouvelle tache: garantir «la sécurité spirituelle» des Marocains.

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