Sami Aldeeb: Embourbement de Dieu avec le Coran

Traduction d’un article paru dans un forum arabe

Embourbement de Dieu avec la Bible

Quand j’étais jeune, je me suis heurté à des textes de la Bible qui m’ont rendu perplexe. Parmi ces textes je vous cite ce passage du Livre de Samuel I, chapitre 15, qui commence comme suit:

“Samuel dit à Saül: C’est moi que l’Éternel a envoyé pour t’oindre roi sur son peuple, sur Israël: écoute donc ce que dit l’Éternel. Ainsi parle l’Éternel des armées: Je me souviens de ce qu’Amalek fit à Israël, lorsqu’il lui ferma le chemin à sa sortie d’Égypte. Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et ânes”.

Je me suis demandé si la Bible pouvait provenir de Dieu alors qu’elle comporte de tels enseignements cruels? Et peut-on appeler Samuel prophète? Si en effet Samuel revenait en vie, il serait jugé pour crime de guerre et crime contre l’humanité.

En 1978, afin de commémorer le trentième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, j’ai été invité à un colloque qui a eu lieu à l’Abbaye de Sénanque en France. Ce colloque a réuni des juifs, des chrétiens et des musulmans provenant de différents pays, sous la houlette du Père dominicain Claude Geffré.  C’était le premier colloque auquel je participais dans ma vie, et le sujet de mon intervention portait sur “La liberté religieuse dans un pays musulman, cas de l’Egypte”. Parmi les conférenciers il y avait le regretté Mohamed Arkoun. Les actes de ce colloque ont été publiés à Paris sous le titre “La Liberté religieuse dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam“.

Comment sortir Dieu de l’embourbement de la Bible?

J’ai profité de cette occasion pour exposer au Père Claude Geffré ma perplexité concernant la Bible, en lui citant le passage de Samuel susmentionné, en lui disant: “Est-ce que la Bible peut être un livre révélé alors qu’elle contient des enseignements contraires aux droits de l’homme? Père Geffré m’a demandé ce que je comprenais par “révélation”. Je lui ai répondu qu’il s’agit de la même notion que m’a apprise l’Eglise, à savoir “Les paroles de Dieu aux humains rapportées dans les Livres sacrés”. Père Geffré m’a répondu: “Je comprends votre perplexité, mais cette perplexité provient de votre définition de la révélation”. Je lui ai alors demandé sa propre définition de la révélation. Il m’a répondu: “La révélation n’est pas les paroles de Dieu aux humains comme rapportées dans les Livres sacrés, mais les paroles des humains sur Dieu inscrites par les humains dans des livres qu’ils ont appelé Livres sacrés”.

Je me suis alors senti en paix intérieurement. Les choses sont devenues claires pour moi. Ce que comportent les Livres sacrés ne sont pas les paroles de Dieu, mais les paroles des humains. Et comme les humains peuvent se tromper, leurs paroles peuvent comporter des éléments positifs comme des éléments négatifs. Si donc les Livres sacrés comportent des enseignements criminels, ces enseignements ne peuvent être attribués à Dieu, mais aux humains. La Bible a ainsi cessé d’être pour moi un Livre sacré pour devenir un livre culturel, au même titre que Mille et une nuits et autres livres. Ce faisant, nous libérons Dieu de l’embourbement dans lequel nous l’avons mis en considérant la Bible comme livre révélé par Dieu… alors que Dieu n’a rien à voir avec la Bible, ni avec les enseignements criminels qu’elle comporte.

Embourbement de Dieu avec le Coran

Le problème des musulmans aujourd’hui est qu’ils refusent de considérer le Coran comme paroles humaines, et de ce faite, ils ont mis Dieu dans des difficultés inouïes. Comment en fait peut-on attribuer à Dieu l’esclavage, les captives de guerre, la jizya imposée aux non-musulmans, l’exécution des prisonniers de guerre, l’inégalité entre hommes et femmes en matière de testament et de témoignage, l’inégalité entre musulmans et non-musulmans? Ces normes sont contraires aux droits de l’homme. Et si on les attribue à Dieu, on en fait un criminel de premier ordre, l’exposant au Tribunal pénal international qui le condamnerait à la prison à vie. Il n’y aurait alors aucune différence entre Dieu et d’autres grands criminels que l’humanité a connus comme Hitler, Staline, Néron et bien d’autres.

Tentative de Taha de sortir Dieu de l’embourbement du Coran

Le penseur soudanais Mahmoud Muhammad Taha s’est rendu compte de ce problème dans son fameux ouvrage “Le deuxième message de l’Islam” (traduit en français sous le titre Un islam à vocation libératrice), ouvrage interdit dans tous les pays arabes et musulmans. Ce penseur a essayé de venir au secours de Dieu en proposant le partage du Coran en deux: le Coran mecquois (révélé à la Mecque entre 610 et 622) et le Coran médinois (révélé à Médine entre 622 et 632). Cette division est connue chez les grands savants religieux musulmans, mais il y a introduit une distinction radicale: il a estimé que le Coran mecquois abroge le Coran médinois. Taha ne pouvait dire aux musulmans (comme le fait le Père Geffré) que le Coran n’est pas paroles de Dieu. Il a simplement dit que le Coran mecquois constitue le véritable esprit de l’islam, alors que le Coran médinois est un Coran politique qui a dû tenir compte de la barbarie du septième siècle qu’il ne pouvait supprimer d’un trait de plume. En partageant le Coran en deux et en abrogeant le Coran médinois, Taha met fin aux normes que ce dernier contient relatives aux sanctions islamiques cruelles, à l’inégalité entre hommes et femmes, à l’inégalité entre musulmans et non-musulmans, à l’esclavage, aux captives de guerre, et à d’autres normes barbares contraires aux droits de l’homme.

Le but de Taha était en fait de sortir Dieu de l’embourbement et de trouver une solution honorable aux musulmans.

Pendaison de Taha

Mais l’Azhar et autres institutions religieuses musulmanes ne l’entendaient pas de la sorte, et ont fait des pieds et des mains pour dénoncer Taha aux autorités soudanaises qui ont fini par le pendre le 18 janvier 1985.

Et ainsi les musulmans ont perdu le plus grand penseur musulman éclairé.

L’Azhar et les autres institutions religieuses islamiques ne pouvaient en fait subsister sans l’existence de normes leur permettant d’asseoir leur domination sur le destin des gens et les maintenir dans l’ignorance.

Et aujourd’hui, le monde arabe et musulman vit ses plus sombres moments dans l’histoire en raison de ces institutions barbares qui ont donné naissance à des bandes sans foi sans loi qui sèment la corruption sur terre et remplissent les pays de destructions et de flots de sang.

Mais jusqu’à quand durera cette situation? O nuit, quand prendras-tu fin pour permettre au jour de revenir?

Et la réponse:

Lorsque se réalisera cette prédiction de Taha: “Il viendra un jour où on fermera la porte de l’Azhar avec deux planches sur lesquelles il sera écrit: ici on enseignait l’ignorance”.

 

Mahmud Muhammad Taha: Mahmud Muhammad Taha entre le Coran mecquois et le Coran médinois, Createspace (Amazon), Charleston, 2018, 146 pages Amazon.fr

Comments are closed.

Powered by WordPress. Designed by WooThemes

%d blogueurs aiment cette page :