Le sexe dans l’islam: la ruse de l’enfant endormi

Si le droit musulman prévoit des sanctions sévères contre l’adultère allant jusqu’à la lapidation, les juristes musulmans ont été plus cléments envers la femme qui tombe enceinte et accouche longtemps après le divorce ou le décès de son mari, en inventant la théorie de l’enfant endormi. Une histoire à dormir debout. De quoi s’agit-il?

Le Coran dit:

Les mères allaiteront deux ans complets, pour celui qui veut accomplir l’allaitement (2:233).

Sa mère l’a porté, faiblesse sur faiblesse. Son sevrage a lieu à deux ans (31:14).

Sa mère l’a porté par contrainte et l’a mis [au monde] par contrainte. Il est porté et sevré durant trente mois (46:15).

Partant de ces trois versets, les juristes musulmans sont unanimes sur le fait que la durée minimale de la grossesse est de six mois (30 mois de grossesse et sevrage 24 mois de sevrage = 6 mois de grossesse).

Quant à la durée maximale de la grossesse, les juristes musulmans ont largement divergé, en raison de la croyance selon laquelle l’enfant peut dormir dans le ventre de sa mère.

Pour les hanafites (adeptes de l’école d’Abu-Hanifah, décédé en 767), la durée maximale de la grossesse est deux ans. Les autres écoles sont plus larges. Ainsi, les malikites invoquent Malik (décédé en 795) selon lequel certaines personnes ont été portées pendant trois ans, faisant en cela allusion à son cas personnel. Ce qui signifie qu’il est né longtemps après la mort de son père, et évidemment personne n’irait considérer Malik comme fils de pute, étant le chef de file de l’école malikite suivie notamment par les musulmans d’Afrique du Nord. Malik rapporte aussi qu’une voisine à lui avait porté son enfant quatre ans avant d’accoucher. Évoquant la même femme, un juriste de Médine contemporain de Malik ajoute qu’elle avait enfanté encore une fois après une grossesse de sept ans. De telles longues durées de grossesse sont acceptées dans des fatwas rapportées par Al-Wansharisi (décédé 1508).

Ce n’est que chez Ibn-Hazm (décédé 1064) qu’on retrouve la conception moderne de la grossesse. Il écrit:

Il n’est pas possible que la grossesse dure plus de neuf mois ou moins de six mois, car Dieu dit: “Sa mère l’a porté par contrainte et l’a mis [au monde] par contrainte. Il est porté et sevré durant trente mois” (46:15). Et Dieu a dit: “Les mères allaiteront deux ans complets, pour celui qui veut accomplir l’allaitement” (2:233). Ceux qui prétendent que la grossesse et l’allaitement durent ensemble plus de trente mois, tiennent des propos nuls et non avenus; ils récusent ouvertement la parole divine.

Ibn-Hazm s’en prend aux thèses des autres juristes:

Toutes ces informations sont mensongères; elles se réfèrent à des personnages qui ne disent pas la vérité et ne savent pas de quoi ils parlent. Rendre des jugements conformes à la religion de Dieu n’est pas possible avec de tels arguments.

Il faut cependant remarquer que ce fameux juriste appartient à l’école dhahirite, désormais disparue, et son opinion n’a pas été admise par les juristes musulmans classiques.

Cette longue durée de grossesse, qui posait des problèmes aux autorités judicaires coloniales en Afrique du Nord, serait-elle une ruse juridique visant à épargner le discrédit à la femme enceinte d’un enfant illégitime, ou à écarter la honte de la stérilité? Serait-elle au contraire le produit d’une croyance ancrée dans les mentalités?

Quoi qu’il en soit, elle est encore acceptée par des autorités religieuses et judicaires saoudiennes qui ont considéré légitime un enfant né d’une femme quatre, cinq, voire sept ans après le divorce ou le décès de son mari. Des auteurs musulmans modernes continuent à croire dans la légende de la longue durée de la grossesse, en joignant les témoignages de médecins occidentaux aux récits des anciens auteurs musulmans. ‘Ali Jumar, le grand Mufti d’Égypte, dans un livre publié en 2005, dit que la grossesse peut durer jusqu’à quatre ans, mais considère l’enfant né au-delà de cette durée comme adultérin. Ce qui n’a pas manqué à soulever des critiques.

Pour mettre un terme à ces pratiques douteuses, les législateurs arabes ont fixé la durée maximale de la grossesse. Ainsi au Maroc, l’article 135 du code de la famille énonce: “La durée maximale de la grossesse est d’une année à compter de la date du divorce ou du décès”. Mais l’article 134 garde les traces du droit musulman classique:

Si la femme en état de retraite de viduité prétend être enceinte et qu’il y ait contestation, le tribunal saisi a recours aux experts spécialistes pour déterminer s’il y a grossesse et la période de son commencement pour décider de la poursuite ou de la fin de la retraite de viduité.

Le guide établi par le Ministère de la justice dit: “La durée maximale de la grossesse est d’une année révolue à compter de la date du divorce ou du décès. Toute grossesse prétendue au-delà de l’année du divorce ou du décès est irrecevable”, et ajoute:

Si une contestation est soulevée au sujet de l’existence de la grossesse ou de sa dénégation au cours de l’année du divorce ou du décès, l’affaire doit être soumise au tribunal pour statuer sur l’existence ou non de la grossesse ainsi que sur la date de son apparition en faisant appel à des personnes compétentes en la matière. Il prononcera un jugement portant prolongation ou cessation de la retraite de viduité.

En Mauritanie, l’article 61dit: “La durée maximale d’une grossesse est d’une année lunaire. S’il subsiste un doute sur la grossesse au delà de cette période, l’intéressé saisit le juge qui doit ordonner une expertise médicale” (article 61). Aux Émirats arabes unis, la durée minimale est de 180 jours, et la maximale de 365, sauf décision médicale ad hoc (article 91). Au Yémen, l’article 128 dit que le minimum de la grossesse est de six mois, et dans la majorité des cas de neuf mois, mais il n’y a aucune limite pour la durée maximale tant qu’il en existe des signes et qu’elle se poursuit avec l’attestation d’un médecin spécialisé.

On signalera ici que les codes civils suisse (article 256a), français (article 311) et italien (article 232) fixent la durée minimale de la grossesse à 180 jours et la durée maximale à 300 jours.

Pour les références, voir mon ouvrage Introduction au droit arabe: droit de la famille et des successions, droit pénal, droit médical, droit socio-économique, Createspace (Amazon), Charleston, 2e édition, 2012, 534 pages Amazon.fr

Les versets du Coran sont pris de ma traduction: Le Coran: texte arabe et traduction française par ordre chronologique selon l’Azhar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens.

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