Sami Aldeeb: A mes frères algériens: le croyant ne se laisse pas mordre deux fois d’un trou de serpent

Traduction d’un article en arabe

Lorsque l’Algérie est devenue indépendante en 1962, mon père, simple paysan palestinien, m’a rendu visite au Séminaire latin de Beit Jala, où j’étudiais pour devenir prêtre. J’avais 13 ans. Le Séminaire était alors dirigé par des prêtres, venus pour la plupart de France.

Mon père, le simple paysan palestinien qui n’a jamais quitté la Palestine et ne sait pas où se trouve l’Algérie sur la carte, me dit:

Mon fils, dis aux prêtres français que nous les avons battus.

Il était fier de l’indépendance de l’Algérie … comme s’il était un Algérien.

La parole de mon père, le simple paysan palestinien, est restée ancrée dans ma mémoire. Chaque fois que je rencontre un Algérien, je me souviens d’elle et ressens de l’amour pour lui. Malgré les distances et la différence de religion, je sens que je suis associé à lui dans un lien sacré fondé par mon défunt père, que Dieu accorde la paix à son âme.

Et naturellement, j’ai vécu ce que les Algériens appellent la décennie noire avec une grande tristesse. L’Algérie était quotidiennement présente dans ma pensée  … Je suivais ses nouvelles avec appréhension, les larmes aux yeux.

Comment la noble Algérie, dont était fier mon père, le simple paysan palestinien, s’est-elle transformée en enfer?

Pour ceux qui ne connaissent pas la décennie noire, je rappelle qu’il s’agit d’une période tragique de 10 ans, de 1992 à 2002, au cours de laquelle des groupes islamistes et les autorités ont exercé les pires violences à l’encontre des civils. Le massacre était la manière habituelle dans ce conflit. Ces massacres dirigés contre des villageois ne faisaient aucune distinction entre un homme et une femme, entre un bébé et une personne âgée, et les méthodes de mise à mort étaient extrêmement brutales. Le Groupe islamique armé (GIA), a reconnu être responsable de certains de ces massacres, et le takfir en était la justification. Chaque Algérien qui n’avait pas combattu le gouvernement était considéré comme un infidèle. L’autre raison invoquée était que certains des habitants de ces villages se sont joints à des milices progouvernementales. Par ailleurs, Amnesty International et Human Rights Watch ont signalé que les massacres avaient eu lieu à des centaines de mètres du quartier général de l’armée algérienne et qu’elle n’aurait apparemment rien fait pour arrêter le carnage. Il y avait des rumeurs selon lesquelles l’armée elle-même aurait commis plusieurs de ces massacres. Les pertes de vies sont estimées entre 60’000 et 150’000 personnes, sans parler des personnes qui ont disparu, ont été déportées de leurs régions et ont émigré en France à cause de la terreur. Les pertes matérielles sont estimées à près de 20 milliards de dollars.

Je me suis rendu en Algérie après la fin de la décennie noire et je me suis déplacé dans les quartiers de la capitale avec tristesse pour ce qui est arrivé à ce pays.

J’ai vécu les révolutions du Printemps arabe, un vaste mouvement de protestation pacifique qui a débuté dans certains pays arabes à la fin de 2010 et au début de 2011, influencé par la révolution tunisienne qui a éclaté après l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, mouvement qui a réussi à renverser l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Les raisons: stagnation économique et mauvaises conditions de vie, en plus des restrictions politiques et sécuritaires et de l’absence d’élections équitables dans la plupart des pays arabes.

J’étais au début de ces révolutions en voyage en Allemagne pour assister à un colloque et j’ai rencontré un ami tunisien. Tout le monde l’a félicité pour ce que le peuple tunisien a accompli … Parallèlement, le mouvement a commencé dans d’autres pays arabes. Tous espéraient un brillant avenir dans notre région.

J’ai parlé pendant ce colloque avec un vieux dissident syrien qui avait passé quelque temps dans les prisons syriennes … Je lui ai demandé s’il pensait que ce qui s’était passé en Tunisie pourrait se produire en Syrie. Il a répondu:

C’est impossible. Le régime syrien n’hésitera pas à anéantir la moitié de son peuple au lieu de renoncer au pouvoir en faveur des islamistes. En Syrie, la famille dirigeante appartient à la communauté alaouite, estimée à près de deux millions de personnes. L’abdication de la famille dirigeante signifie l’extermination des Alaouites et de ceux qui les soutiennent.

J’ai eu aussi une discussion avec une opposante syrienne musulmane et un opposant syrien chrétien qui participaient à des manifestations à Paris contre le régime syrien. Je les ai prévenus à l’époque que la Syrie sera très tôt au bord de l’abîme. Ce qui s’est passé en Syrie montre la véracité de la vision du vieux opposant syrien.

Très tôt, les révolutions du Printemps arabe se transformèrent en révolutions de l’Enfer arabe. J’ai perdu comme la majorité mes espoirs dans ces révolutions dont j’étais au début un fervent partisan. Les mouvements islamiques ont pris le dessus. La suite est connue … Il n’est pas nécessaire de rappeler ce qui s’est passé en Égypte et la prise du pouvoir par les Frères musulmans, menaçant de faire couler des fleuves de sang dans les rues du Caire s’ils ne l’obtenaient pas.

Maintenant, retour à ce qui se passe en Algérie.

Une amie algérienne m’a demandé: “Que pensez-vous de ce qui se passe en Algérie?”

Ma réponse a été:

Je suis contre les révolutions de rue, qui ont toutes conduit à une impasse, et je suis pour les révolutions des esprits. Toutes les révolutions de rue ont été exploitées par les islamistes qui ont détruit les pays. La décennie noire en Algérie n’est-elle pas suffisante?
Enlève un chef et met un autre chef à sa place. Tant que les gens ne changent pas, les idiots resteront des idiots.
Nous voulons changer les têtes et ne pas changer les chefs.

Une autre amie m’a écrit:

Le peuple algérien est conscient de son destin et décide de son destin, et c’est lui seul qui vit l’épreuve et non les autres.

Ma réponse a été:

Bien sûr, chaque peuple décide de son destin. Les amis du peuple algérien ont le devoir d’exprimer leur opinion par amour, et uniquement par amour. La décennie noire en Algérie et ce qui s’est passé dans d’autres pays à cause des révolutions de rue ne peuvent laisser les amis de l’Algérie sans crainte … par amour… et uniquement par amour. J’espère que nos amis algériens parviendront à une solution sans verser de sang.

Certains vous diront que la révolution de rue en Algérie est une révolution pacifique. Mais il ne faut pas oublier que dans l’histoire, aucune révolution pacifique n’a continué pacifiquement. Elle commence à chauffer les esprits et se termine par des massacres et des destructions. Le croyant ne doit pas se laisser mordre deux fois du trou d’un serpent.

Certains vous diront: n’êtes-vous pas démocrate? Si le peuple choisit les Frères musulmans, pourquoi rejetez-vous sa décision?

La réponse est très simple. La démocratie n’a pas de sens si elle n’est pas accompagnée du principe d’égalité entre les gens. L’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule: “Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits”. Ce principe est rejeté par toutes les religions.

Les gouvernements basés sur une majorité religieuse sont des régimes nazis parce qu’ils ne reconnaissent pas le principe d’égalité. Ils font la distinction entre le croyant et le non-croyant. La religion doit donc être séparée de l’État, et les partis religieux interdits. La démocratie pour ces partis est un moyen de parvenir au pouvoir … sans adhérer au principe d’égalité qu’ils ne peuvent pas reconnaître.

Chaque État religieux est un État nazi, qu’il soit islamique, juif, chrétien ou bouddhiste. Les constitutions des pays musulmans stipulent, en tête, que l’islam est la religion de l’État. Et Israël se considère comme un État juif, raison pour laquelle il a détruit 81% des villages de Palestine et chassé leurs habitants pour le seul crime qu’ils ne sont pas juifs (Liste des localités palestiniennes détruites par Israël https://goo.gl/7kfiWK). Tant ces États musulmans qu’Israël sont des régimes nazis.
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Dr Sami Aldeeb 
Directeur du Centre de droit arabe et islamique https://www.sami-aldeeb.com
Mon édition arabe et mes traductions du Coran en français, en anglais et en italien par ordre chronologique et mes autres livres: https://sami-aldeeb.com/livres-books

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